« Thawra ! » : la jeunesse arabe poursuit sa révolution (1/3)
Depuis février 2019, la jeunesse arabe démontre sa soif de démocratie dans des pays qui n’ont pas connu leur “printemps” en 2011. En Algérie, au Liban et en Irak, les manifestants sont parvenus à faire vaciller les pouvoirs solidement ancrés. Le contexte mondial est aujourd’hui marqué par montée des extrémismes et de discussions sur la “post-démocratie”. A l’inverse, les jeunes de ces pays démontrent la vitalité de l’idéal démocratique dans cette région.
Des pays peu secoués par le “printemps” de 2011
Lorsqu’en décembre 2010, la Tunisie ouvre la voie à une vague de contestation totalement inédite à travers le monde arabe, plusieurs pays n’ont connu que des épisodes de protestation sporadiques. L’Algérie, le Liban et l’Irak font partie de ceux qui ont surtout joué un rôle de spectateurs des événements en cours chez leurs voisins. Les espoirs nés de ces mouvements ont été largement douchés par les évolutions tragiques en Syrie, au Yémen ou en l’Egypte. L’apathie apparente en Algérie, au Liban et en Irak a ainsi suscité des interrogations.
Ces derniers ne manquaient pourtant pas de motifs de contestation. La crise des déchets libanaise constitue la meilleure illustration de l’échec de l’Etat à assurer les services publics essentiels à sa population. En Irak, les infrastructures essentielles étaient encore ravagées par deux décennies de guerre avec les Etats-Unis et l’Iran. Le pays figurait alors déjà parmi les champions mondiaux de la corruption. En Algérie enfin, le régime en place n’a acheté la paix sociale qu’au prix d’une coûteuse redistribution de la seule richesse du pays : l’argent issu du pétrole.
Les quelques manifestations qui ont eu lieu à cette époque avaient alors été rapidement contenues et réprimées parfois violemment. Avant le début des soulèvements, nombre d’intellectuels s’attristaient de l’absence de dynamique contestataire dans ces pays.
Etats “faillis” et corruption généralisée
D’un point de vue économique, les situations de ces pays sont bien différentes. Elles ont cependant en commun de n’offrir que de très faibles perspectives d’emploi ou d’évolution sociale. Le secteur informel y constitue une part importante de l’économie : 39% en Algérie, 52% en Irak et 73% au Liban. Mohammed Bouazizi, le jeune tunisien dont l’immolation a provoqué le déclenchement du “printemps arabe”, était lui-même un travailleur non-déclaré. Son geste avait permis de mettre au jour la grande précarité d’une situation qui touche particulièrement les jeunes dans le monde arabe.
Au Liban, la dette publique bat des records et les infrastructures publiques restent délabrées. Ces infrastructures sont dans un état comparable en Irak, qui connaît depuis 2016 des manifestations récurrentes à Bassora. Cette ville manque cruellement d’électricité et l’eau distribuée a causé une importante épidémie chez les populations. Grâce à sa manne pétrolière, l’Algérie a su doter de meilleurs services publics. Cependant, l’opacité des marchés, l’absence de plans d’urbanisme et la mauvaise gestion les rendent peu efficients.
Tous les pays du Proche et Moyen-Orient sont concernés par une hausse des coûts de la vie (matières premières, logement, santé…). Cependant, la hausse du niveau de vie des populations ne compense pas l’écart qui se creuse chaque année davantage. Les trois pays en question n’échappent pas, loin de là, à cette évolution. Les différents gouvernements sont restés enfermés dans des logiques de perpétuation de la domination. Ajouté à une gestion strictement sécuritaire des contestations, un puissant ressentiment est ainsi né face aux problématiques quotidiennes des populations.
Des jeunesses marginalisées
Les jeunes constituent les premières victimes de ce dysfonctionnement de l’Etat et de l’économie. Dans ces trois pays, arrive chaque année une part croissante de jeunes, de plus en plus diplômés, sur des marchés du travail atones. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a ainsi estimé qu’entre 2005 et 2010, 3,3 millions de jeunes sont arrivés sur le marché du travail dans les pays arabes. Dans le même temps, la croissance n’a permis de créer que 2,2 millions d’emplois nouveaux. L’écart de 700 000 vient ainsi se rajouter à une situation économique et sociale déjà précaire.
Le Liban et l’Irak restent davantage marqués par des logiques de redistribution des emplois selon des logiques de patronage et de clientélisme. Là, les marqueurs confessionnels et partisans constituent des dynamiques particulièrement effectives. En Algérie, la population s’est levée contre la “hogra”, cette violence surtout symbolique exprimée par les institutions à l’égard d’une jeunesse en quête de reconnaissance sociale.
Les histoires et les structures sociales de ces trois pays sont ainsi bien différentes. Pourtant, la simultanéité des mouvements, la similarité de leurs revendications, démontrent que des problèmes structurels communs à de nombreux pays de la région persistent. L’Algérie, le Liban et l’Irak ont été les oubliés du “printemps” de 2011. La violence parfois extrême qui s’est abattue sur les manifestants d’alors a imposé aux jeunes d’aujourd’hui de réinventer les dynamiques de la mobilisation. Gardant la mémoire des événements traumatisants propre à chaque pays, les jeunes démontrent une grande maturité politique. Ceux-ci se révèlent ainsi loin de la torpeur qui leur a longtemps été associée.